La visite du roi Albert 1er

  Premier mars 1929. La vie est presque normale pour les élèves après une période de grand froid et une terrible épidémie de grippe.

  Presque normale... Car les gigantesques travaux commencés en 1928 ne sont guère terminés.

 

  Le long de la rue Saint-Laurent, une partie du mur de clôture de l'école a été démoli, et la brêche laisse voir la cour d'entrée encombrée de déblais :


  Chantier à rue. Chantier dans la cour de récréation. Chantier derrière la forge, où on transforme les ateliers...

  C’est dans ce cadre que le 1er mars, après la messe de communion du Sacré-Cœur (1er vendredi du mois), le directeur de l'école annonce la nouvelle: « Sa majesté le roi sera mardi à Saint-Laurent » !

  Les questions fusent. Le verra-t-on ? A l’étude ? A l’atelier ? Mettra-t-on ses bleus ce jour-là ? Que va-t-on lui montrer ?

  La nouvelle est tellement inattendue que professeurs et élèves doivent d’abord s’habituer à l’idée.

 

  Samedi et lundi, grand branle-bas ! Annoncer une visite royale est une recette miraculeuse pour désencombrer un chantier de construction et nettoyer ses abords.. L’effet est merveilleux. Les ornières dans la boue du dégel deviennent des allées en briquaillons, les plâtras disparaissent, ainsi que les amas de « riquettes »… et tout cela avec le sourire.

  Et même là où tout est habituellement bien tenu, on découvre des armoires qui implorent une couche de couleur, des machines et des transmissions qui demandent un coup de poli, des réparations à finir, des bois qui s’accumulent inutilement… et de la poussière, hélas oui, à ôter un peu partout…

  Mardi ! La rue Saint-Laurent est pavoisée de drapeaux.

  A la grande porte de l’institut, le dôme de velours d’une marquise indique l’entrée. Tapis et tentures montrent la voie que devra suivre l’auguste visiteur.

  La visite est annoncée pour 11 heures. Dans la rue, les élèves des écoles voisines et la population du quartier animent joyeusement les trottoirs. Dans les ateliers, élèves mécaniciens et menuisiers travaillent, avec un peu d’énervement qu'à l'habitude. Quelques-uns mettent la dernière main aux expositions improvisées qu'ils vont montrer au roi et à sa suite.

 
  La salle d’étude de l'école du bois s’est transformée en un salon, un peu disparate sans doute (on y trouve même une chambre à coucher), mais où se marient l’éclat des polissages, les reflets des bois exotiques et la patine des bois sculptés. L’ensemble dégage une impression de flatteuse richesse. Splendide étalage de meubles de style et modernes !  
  En mécanique, c’est dans le futur lavoir que s’étalent, d’un côté, des pièces finies, des modèles de fonderie, des étaux, des pinces de fabrication ; de l’autre, une collection de matériel pédagogique.
 

  11h15. Les élèves des cours théoriques, ceux de mécanique qui n’ont pas trouvé place à l’atelier et les élèves du bois sont groupés dans la cour d’entrée.

  Les autos cornent dans la rue.

  Le directeur de l'école s’avance vers le roi et lui souhaite la bienvenue, traduisant en quelques mots ce que tous les coeurs ressentent :

  « Sire, notre institut professionnel est fier du grand honneur que votre majesté daigne lui faire en venant visiter ses installations.
  Croyez bien, sire, que dans l'accomplissement de notre tâche, tous ici n'avons en vue que le relèvement professionnel de la jeunesse ouvrière chrétienne.
  Nous avons la noble ambition de servir le pays en lui donnant de plus en plus des éléments d'ordre, des ouvriers d'élite, des citoyens conscients de leurs devoirs professionnels »...

  Puis le roi reçoit, au salon, les hommages des personnalités qu’il se fait présenter. Dans la cour, les élèves sont aux aguets.

  « Les voilà » !

  Folle clameur d’applaudissements, de « vive le roi », enthousiasme débordant… Le roi, entre l'évêque et le directeur, s’avance dans la cour avec une sereine simplicité, suivi par un nombre imposant d’autorités religieuses, politiques, industrielles et sociales.

Cette petite cour est dite « cour d'honneur » depuis ce jour mémorable :

 

La « cour d'honneur » telle qu'elle est devenue en 2003. Elle n'est plus l'entrée principale de l'école :



  Le cortège longe la façade et tourne à droite vers l'entrée de l'atelier mécanique. Àl'époque, c'est par le passage que montre la flèche que l'on arrive à l'entrée de l'atelier mécanique (l'actuel garage).

  La grande porte s’ouvre. Devant le roi et sa suite, une acclamation jaillit de deux cents jeunes poitrines. L'enthousiasme calmé, les moteurs démarrent.

  Le coup d’œil est prestigieux. Le soleil fait briller les transmissions qui ronflent avec entrain au-dessus des machines, des étaux et des marbres, où tous les apprentis travaillent, liment, burinent ou tracent avec une ardeur inégalée, non sans jeter un coup d'oeil à la dérobée sur le « flot des Messieurs » qui envahissent les allées.

  Sa Majesté se fait présenter les instructeurs, insiste sur l’importance de leur mission, les remercie pour leur contribution dans le relèvement de l’industrie belge… Il se fait indiquer les meilleurs élèves, s’intéresse à leurs travaux, aux pièces exposée.

 

  Le roi quitte l'atelier mécanique par la porte du fond (actuellement: la plus grande des portes du garage sous le préau des anciens bâtiments). Il traverse le chantier de la grande cour pour se diriger vers le « Saint-Laurent Palace », le bâtiment des ateliers bois.

Les bâtiments en chantier en 1928-29, avec les arcades du préau, sont devenus aujourd'hui nos «anciens bâtiments» :
 

  En menuiserie, le roi questionne un élève qui travaille un départ d’escalier en bois du Congo ; en ébénisterie, il se montre émerveillé par les meubles en fabrication, et tout particulièrement par les éléments sculptés. Il ne tarit pas d'éloges à propos de la bonne tenue des apprentis et de la perfection de leur apprentissage.

  Puis Albert 1er exprime le désir, car il dit avoir le temps, d'assister à des cours théoriques. Comme il est à cet instant dans le bâtiment du bois, il commence par un cours de style en ébénisterie.

  Il demande ensuite à s'intéresser aux programmes de mécanique, de dessin industriel et de géométrie. Voilà le cortège royal obligé de retraverser la cour de récréation dans l'autre sens. Il est acclamé par 350 apprentis en tenue de travail, qui se sont précipités hors des ateliers pour le voir passer, les uns grimpés sur des tas de matériaux, les autres accrochés aux échelles ou aux coffrages.

 

  La visite est terminée. Le roi regagne le salon d'accueil et y signe le livre d'or de l'institut :

 

 

  Un cadeau de l’école à Sa Majesté: un coffret poli en limba noir, avec l’intérieur en mungo-mungo, décoration extérieure en marqueterie de Zébrano, avec incrustation de filets de buis et de nacre. L’intérieur du couvercle comporte les lettres ISL.